LE DÉSIR

 

 

 

Dans la vie de chaque jour, franchement, la fin du tout, on s’en fiche. Sa fin inéluctable nous est à peu près aussi indifférente que ses lointaines origines. Même notre fin à chacun de nous, nous y pensons, grâce à Dieu, avec une légèreté sans doute coupable, avec une sorte de désinvolture dont nous nous en voudrons peut-être un jour, quand le temps sera venu. La vie s’occupe de la vie ; elle tourne le dos à la mort qu’elle essaie d’oublier.

S’il y a quelque chose qui nous accompagne tout au long de notre passage ici-bas, ce n’est pas la pensée de la mort ni de la fin, c’est un élan obscur vers l’existence que nous pouvons appeler le désir. Le désir est partout. Il chemine à travers le sexe, la volonté de pouvoir, le jeu, l’argent, le savoir, l’espérance. Il prend tous les visages. Il se dissimule sous le secret.

Mais partout où de l’avenir succède à du passé, il est là, au travail. Au-delà, ou en deçà, des mystères du début et de la fin, le tout désire persévérer dans l’espace et le temps. L’homme désire aussi se survivre et prospérer. Le premier ordre donné à la vie par le Dieu de la Genèse est de prospérer dans l’existence et de se multiplier. Les hommes se sont multipliés. Et ils ont prospéré. Même quand le bonheur ne nous submerge pas, chacun de nous est un élan vers soi-même et vers autre chose.

Tout est désir dans le tout. Tout aspire à durer, à changer, à ne pas disparaître, à exercer une action, à atteindre un bonheur, souvent paradoxal – « Tous les hommes, écrit Pascal, recherchent d’être heureux. Cela est sans exception, quelques différents moyens qu’ils y emploient. C’est le motif de toutes les actions de tous les hommes, jusqu’à ceux qui vont se pendre » –, à se distinguer des autres et à se confondre avec eux. Il y a un désir de la matière à devenir de la vie. Il y a un désir de la Terre, nous l’avons déjà vu, à tourner autour du Soleil, il y a un désir des galaxies à s’éloigner les unes des autres, il y a un désir du temps à emporter l’univers, il y a un désir d’amour et il y a un désir de demain. Le soleil se lève, le soleil se couche et il soupire après le lieu d’où il se lèvera de nouveau. Si les hommes ne désiraient pas à la fois rester ce qu’ils sont et devenir autres que ce qu’ils sont, le monde s’arrêterait aussitôt.

Nous ne savons rien de demain, si ce n’est que le désir poursuivra sa carrière.

Comme il le fait sans se lasser depuis des millions et des millions d’années, il nous poussera à survivre, il nous poussera à nous reproduire sous une forme ou sur une autre, il nous poussera à rester les mêmes et à persévérer dans l’existence, et il nous poussera à nous changer en autre chose.

À nous changer en quoi ? Nous ne savons pas. Le grand secret de l’être n’en finit pas de se répandre sur un tout qui n’est qu’énigme et mystère. Le désir ne s’explique pas à lui-même. Il est obscur. Il est opaque. On dirait qu’après avoir mené jusqu’aux hommes un tout aveugle et muet, il mène les hommes vers autre chose, dans un flot de paroles et d’images qui, loin de répandre la lumière, ajoute encore aux ténèbres.

Des ténèbres éclatantes où brillent le langage, la mathématique, la liberté, la révolte, la beauté ou le sens. Mais des ténèbres tout de même. « Nous sommes dans l’inconcevable, écrivait René Char, mais avec des repères éblouissants. »

Presque rien sur presque tout
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